Réforme du capitalisme : perspective d'une "nouvelle économie écologique", mais le lien entre écologie et économie passe par une redéfinition des intentions du développement durable (soutenabilité et responsabilité).


Pourquoi la crise financière de 2007 et ses conséquences indirectes, mettent en cause le capitalisme ?

La crise financière mondiale de 2008-09 fait suite à un enchaînement de plus petites crises, comme des bulles de plus en plus larges, qui ont éclaté depuis les années 1980 (pour ne pas remonter jusqu'à la Grande Dépression de 1930) en Amérique du sud et centrale (Mexique), en Asie, dans quelques pays riches (valeurs boursières liées à internet), et enfin, aux Etats-Unis (à partir du secteur immobilier), touchant l'ensemble du système bancaire mondial au fur et à mesure qu'il s'est globalisé (P. Krugman, "Pourquoi les crises reviennent toujours ?" Seuil, 2009). Cet enchaînement mal maîtrisé par les banques centrales et les responsables politiques, révèle les limites intrinsèques du capitalisme triomphant car spéculatif, porté par les banques (crédit), les grands investisseurs (fonds de placement à hauts rendements) et les gouvernements mal avisés. Au fur et à mesure, ces bulles spéculatives qui ont des liens entre elles, ont progressé de quelques dizaines de milliards de dollars à quelques dizaines de milliers de milliards de dollars, dont on espère à chaque fois que la valeur se confirme en gains, mais que chaque crise raye d'un trait de plume, sur fond de turbulences de la valeur des monnaies des pays touchés, puis de ralentissements économiques (dépressions-déflations) et de crises sociales (chômage et crise du crédit). A chaque fois, quelques heureux opportunistes spéculateurs savent récupérer une partie du "soufflé", mais il finit par s'effondrer une fois sorti du four, au détriment de tout le monde. Indirectement, à chaque crise, par le biais du manque d'argent, notamment public, l'économie réelle et les "gens" subissent des chocs dont ils mettent des années à se remettre, perdant beaucoup des revenus ou surplus accumulés tant bien que mal dans le passé. Ceux là, ne se "refont" généralement pas dans le jeu cruel des cycles de récessions et relances, dont profite la finance spéculative. Le monde est riche en dollars, euros et yens, yuan, real... et pourtant les Etats ont de moins en moins les moyens de réguler le système tout en continuant à s'occuper des citoyens et des biens communs, notamment de l'environnement. 
Par ses à coups et ses conséquences sur l'économie et les gens, le système financier mondial est devenu significativement nuisible pour "les gens", obligeant les Etats à monopoliser des moyens de plus en plus considérables à tenir la valeur des monnaies (en bas ou en haut selon les situations) et la confiance des investisseurs ou des épargnants, pour permettre à l'économie réelle, que l'on peut dire proche de la Société et des gens, de fonctionner et de nourrir un minimum de prospérité, à défaut de développement.

Il est assez surprenant que le capitalisme soit mis en cause par ses mécanismes propres : les investissements privés massifs, les politiques monétaires, la confiance dans le système de banque (particulièrement les "banques de l'ombre" selon Krugman 2009) et des marchés financiers.
Comme annoncé dans les années 70 (Club de Rome), on aurait pu croire que ce seraient le tarissement des ressources ou les spéculations sur leurs prix, les dégradations de l'environnement ou les impacts sur la santé, et enfin les inégalités sociales, qui pourraient déclencher de telles instabilités dans l'économie mondiale. On voit bien que les intentions du Développement Durable consacré en 1992 dans les sphères institutionnelles internationales, ne peuvent rien sans un changement drastique de système économique et de gouvernance.

Le capitalisme doit-il être réformé et sur quels critères fondamentaux ?

L'humanité fascinée par le progrès technologique et le pouvoir mobilisateur de l'argent a du mal à intégrer les préceptes du développement durable portés par des pionniers de multiples inspirations depuis le milieu du 20ème siècle. Or, l'augmentation des inégalités de conditions de vie, portée par la démographie mondiale et la financiarisation de l'économie, rend particulièrement criant l'échec de la compétitivité, du marché libre et supposé vertueux, et des jeux hérités de la nécessaire mais très hypocrite décolonisation des pays à technicité peu avancée par les plus avancés, même émergents.

Pris dans son élan des trente dernières années, le capitalisme financiarisé ne pouvait se réformer spontanément dans un délai acceptable pour la proportion de la population humaine qui est exclue de l'économie officielle. Celle du jeu en dollars – environ 80% des humains en 2005 se contentent de 8% du PIB mondial. Ce capitalisme libéral est désencastré de la Société (lire Polanyi) et l'économie officielle (monétarisée) ne peut prétendre rendre compte de la majorité des activités humaines. 

Alors que des valeurs de progrès de l'Homme sont portées et partagées dans le monde comme un idéal dépité, la crise financière, puis économique et politique de 2008 peut être considérée comme une chance pour l'humanité de ne pas persister plus encore dans l'illusion de la rationalité économique (lire B. Guerrien 2007 : "L'illusion économique", Omnisciences et D. Cohen 2012 : "Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux", Albin Michel), qui fonctionne sur l'irresponsabilité, l'inassurabilité, l'insoutenabilité des activités au regard de ce que fournit l'environnement pour le bien-être humain et de la question de la prospérité (qualité de vie) plutôt que de la richesse (accumulation de biens). La notion de richesse, comme celle de bien-être, indexées sur la production et la consommation (indice PIB), sont à repenser à l'aune d'une autre comptabilité de l'efficacité de l'économie et de son utilité pour la Société et les individus (lire D. Meda "Au delà du PIB", Flammarion, 1999-2008).

L'argent a un tel pouvoir mobilisateur (financement et investissements dans des systèmes, infrastructures, aménagements, techniques, connaissances, moyens de l'économie réelle des entrepreneurs et des salariés, mode de vie des riches (luxe), trafics illicites, pillages, corruption, prostitution...), que les vicissitudes de la finance (système de crédit, de monnaies et de spéculation) telle qu'elle est devenue depuis les années 1980, annule les efforts sur la soutenabilité environnementale et sociale/sociétale des activités. Pourtant, on évalue mal dans la pratique de l'économie orthodoxe, comment influencer l'investissement pour qu'il devienne responsable et soutenable (voir les indicateurs controversés de l'investissement socialement responsable ou ISR). Que mobiliser entre la morale, l'éthique des affaires, la responsabilité ou la peur de mettre en danger l'humanité ?

La crise financière, puis économique de 2007-2009, touchant le budget des Etats dans un contexte de plus en plus tendu de rivalités entre blocs économiques, a eu l'effet d'un séisme, révélant aux plus libéraux les limites du capitalisme mal régulé et du libre échange mal abouti. 
Mais le lien de crise entre les différents défauts du capitalisme hyper-financiarisé sont rendus dérisoires par les paniques concernant l'argent, sur le court terme. Les crises apparaissent avant tout par une incohérence entre ce qui se passe et le modèle que l'on se faisait du système et de comment agir sur lui. Ainsi, il y a une crise de modèles  des systèmes financier, économique, social, écologique et politique. Les causalités des crises s'entremêlent pour appeler des solutions communes, coordonnées, systémiques, globales, en rupture d'avec les doctrines diverses qui ont mené à la situation reconnue comme grave. Le Développement Durable avait prétendu légitimement répondre à ce type de situation mais n'en a, en fait, pas encore les moyens conceptuels. Les cadres de pensée du Développement Durable ne sont pas à la hauteur pour convaincre significativement toutes les parties prenantes de la vie économique et politique. 
La crise financière mondialisée ne pourrait-elle pas être le levier qui manquait pour une transition du modèle économique et du modèle de Société actuel pour plus de soutenabilité et de prudence ?
C'est l'objet de ce billet ambitieux mais exploratoire.

Affaiblis dans leurs moyens d'action, les pays riches se posent soudain une série de questions, jusqu'alors masquées par les performances apparentes de l'économie-Monde et les doctrines dominantes. La crise financière et économique révèle notamment le vrai visage du libre-échange mondial au travers de la financiarisation du commerce et des guerres des monnaies qui truquent le jeu, notamment depuis que la Chine est devenue le principal détenteur de dollars après les Etats Unis eux-mêmes. Des doutes sérieux pèsent sur la conservation par les pays riches de leur suprématie au classement des PIB, de leur influence sur les approvisionnements et de leur crédibilité à  tenir la valeur de leurs monnaies et des richesses accumulées. 

Le capitalisme va se réformer car c'est dans l'intérêt stratégique des pays riches, sur le long terme. Les stratégies pour le réaliser sont encore hésitantes car guidées par l'urgence de sortir des crises économiques et politiques, particulièrement en Europe. Or, les politiques envisagées mobilisent les vieilles recettes, dont celles que J.M. Keynes avait génialement appliquées en 1930. Mais le système est devenu plus complexe, mieux organisé en apparence, souffrant néanmoins des mêmes maux que ceux qui ont provoqué la crise "sans filet" de 1929 (P. Krugman, "Pourquoi les crises reviennent toujours ?" Seuil, 2009). Keynes reste donc d'actualité, même si ses recettes doivent être adaptées à un monde multipolaire et à des dynamiques autrement plus volumineuses sur le plan financier. Comme en 1930, le monde est rendu dépendant du secteur privé, sur fond d'inégalités profondes d'intérêts et du découplage entre les intérêts de l'économie dite "réelle" et ceux de la finance spéculative. Mis en échec relatif sur leurs réactions techniques (politiques monétaires et fiscales, règlements...), les Etats ont la possibilité de redécouvrir les choix politiques et de défendre les intérêts de la Société et du moyen-long terme. 
Seront-ils assez créatifs pour échapper aux doctrines obsolètes qui régissaient les décisions au titre du capitalisme ? Sauront-ils renouveler les idées et la politique de civilisation (voir la très importante conclusion de P. Krugman, "Pourquoi les crises reviennent toujours ?" Seuil, 2009, et D. Meda "Au delà du PIB", Flammarion, 1999-2008 par exemple). Ces prises de conscience des experts économistes susceptibles d'influencer les pouvoirs sont une chance pour l'humanité et relancent les idées les plus avancées du développement durable (version 2.0 ?).
Ainsi, une "démondialisation" a déjà lieu, qui ne sera qu'une reconnaissance au grand jour de l'échec de l'OMC. Les pays riches, qui avaient signé pour une ouverture aux importations commencent à brandir, sans y avoir cru jusqu'à maintenant, la santé, l'environnement, l'efficacité énergétique, les normes sociales pour justifier des protections tarifaires ou non, aux portes de leurs marchés en dollar, en euro et en yen. Sans "réciprocités" sur les contraintes de "qualité" des biens et services les échanges mondiaux entre pays, blocs politiques ou douaniers constitués, sont hypocrites et renforcent les distorsions et les protectionnismes inavoués. L'OMC était d'ailleurs devenue une table de poker menteur où tout le monde a des as dans sa manche. D'ailleurs, les pays riches ont fortement stimulé le libre-échange (accords de Doha et OMC), les délocalisations par la division du travail mondial, pour tenter de stimuler les profits des entreprises à haute valeur ajoutée et de fin de chaines d'approvisionnement qu'elles abritent. Les pays alors spécialisés dans la sous-traitance à bas coûts par moins d'exigences sur l'environnement et les règles sociales sont devenus assez riches pour peser dans les accords internationaux (pays émergents). La Chine est devenue la deuxième économie mondiale au classement du PIB-pays et s'apprête à produire tout, en montant en gamme, à investir aussi, en forçant les règles de propriété intellectuelle et en tenant leurs avantages comparatifs gagnants, le temps que leurs marchés intérieurs deviennent assez solvables pour moins s'occuper de l'état de santé de leurs clients importateurs.
Oui, le capitalisme financier et l'organisation des approvisionnements dans le monde suscitent une compétition multipolaire dont il va falloir trouver les règles pour que ne se forme plus les bulles que tout le monde craint. Les prochaines seront d'ailleurs celles du gaz de schiste aux Etats-Unis, de l'économie verte et de l'immobilier dans des pays réputés aujourd'hui pauvres (donc à monnaies et coûts faibles), mais en forte croissance (Afrique).

Etablir le lien organique entre économie et développement durable demande de clarifier les "fondements communs" des comportements humains en Société (l'économie) et le fonctionnement de la Biosphère (l'écologie)...

Existe-t-il un lien entre cette crise du capitalisme et une intégration de l'écologie dans l'économie ? Certains fondements du "développement durable" peuvent-ils aider à la refonte du capitalisme ? Quelle science ou quelle pensée (philosophie) réaliserait la convergence entre les velléités du "développement durable" et une réforme de l'économie capitaliste monétarisée et "désencastrée" de la Société mondiale (des humains) ? Et enfin, les monnaies sont elles capables de véhiculer correctement les prix et la valeur des choses d'un bout à l'autre du monde ?

Ces questions sont grandes et ont beaucoup effrayé ceux dont le métier est de théoriser l'économie et d'inspirer des outils politiques. Pourtant elles sont de plus en plus clairement un passage obligé de la réforme du capitalisme malade et à bout de souffle. Les Etats vont devoir reprendre la main sur les marchés et sur le jeu des entreprises, particulièrement les multinationales (voir les rapports récents de l'OCDE pour lutter contre les stratégies de défiscalisation des entreprises internationales).

Le diagnostic selon lequel l'expansion de l'économie dans les années 1985-2005 a produit des richesses en dollars bien au delà des ratios habituels par habitants mais que cette valeur n'intègre pas les coûts exorbitants de la dégradation des écosystèmes et des ressources renouvelables, du climat et globalement de la santé humaine à long terme, ne va pas de soi. Ces considérations posent un problème comptable. Le capitalisme va devoir changer sa comptabilité pour évoluer sur le calcul des performance globales, de la soutenabilité et de l'utilité sociale/sociétale des activités, des produits, des aménagements. Actuellement, l'économie officielle ne reconnait pas ce qui est externe au système monétarisé, ni aux contraintes biophysiques de la Biosphère sur l'économie humaine, notamment industrielle. Les prix ne reflètent pas les coûts réels (complets) du business qui se trouve finalement assuré par les Etats, les contribuables et in fine la Nature (si les dommages sont irréversibles ou irréparables).

Une controverse comptable a grandit ces dernières années, opposant (a) les libéraux orthodoxes convaincus que les marchés libres régleront d'eux-mêmes les problèmes avec le temps et (b) les hétérodoxes altermondialistes ou écologistes, voire bioéconomistes qui brandissent des modèles issus d'une meilleure compréhension des mécanismes complexes et du potentiel des jeux à somme positive, en "coopétition", voire en économie sociale et solidaire et en chaînes de valeur partagée. Force est de constater que la prise de conscience du "développement durable" n'a pas suffit à rendre les approvisionnements humains plus sobres, économes, propres et équitables, autant dire plus efficaces. La prise de conscience capable de déclencher un changement profond n'est pas aboutie et probablement pas encore suffisamment significative dans la population. "Homo economicus" n'est pas l'être rationnel ou prévisible que les économistes orthodoxes ont décrit. Bien que le diagnostic ne soit pas encore bien cerné, ce capitalisme financiarisé, libre-échangiste et hypocrite est en échec intellectuel, mais encore dominant dans les faits, car Homo economicus est un tricheur roublard dilettante et inconstant par rapport à la chose économique. 

En mondialisant les échanges mais surtout la production, les pays riches ont joué sur quelques hypocrisies masquées par l'euphorie de la distribution de dividendes, de la financiarisation des activités (crédit) et par la relative baisse des prix unitaires des biens de consommation. En effet, alors que tous les pays de l'OCDE avaient amorcé d'ambitieuses politiques sur l'environnement et renforcé les dispositifs de protection sociale des salariés, la délocalisation de la partie de la production qui avait la plus faible valeur ajoutée dans des pays moins regardants, a fait voler en éclat les bonnes intentions. Cette externalisation des coûts environnementaux et sociaux a nourrit l'illusion que l'économie gagnait en performance globale et que la consommation dans les pays riches devenait soutenable.
L'ouverture de la Chine à devenir l'atelier du monde, puis la deuxième économie du monde en moins de trente ans reposait sur le principe que le développement économique dégagerait des dividendes pour financer et résoudre techniquement, plus tard, la réparation de l'environnement et une redistribution aux travailleurs. On ne peut blâmer les pays émergents et pauvres d'avoir pratiqué ce "dumping" social et environnemental pour devenir les fournisseurs à très bas coûts des entreprises et des marchés condamnés à tenir un rythme de croissance de profits à deux chiffres, capables de rémunérer les investisseurs, dans des nations à monnaie forte, à salaires et coûts de la vie relativement élevés, et à normes environnementales et sociales exigeantes. 
La crise de 2007 étendue en 2008-09, à tous les pays à économie dite "avancée", a détruit les perspectives financières des Etats à être l'assureur de l'expansion économique mondiale, notamment pour prendre en charge les coûts cachés environnementaux et sociaux. Le sauvetage des banques et du système financier a absorbé indirectement un montant de près de 10000 Mds de dollars entre 2008 et aujourd'hui, dont le monde avait besoin pour rattraper les insuffisances de la mondialisation des filières. Aujourd'hui, les pays émergents sont les seuls à avoir les moyens de corriger les excès de l'expansion économique et savent que les pays riches ne pourront les aider, même si les prix augmentent. Les besoins d'investissement dans la couverture médicale et sociale, dans la restauration des ressources en eau, lutte contre la désertification ou l'érosion, etc... sera en Chine et en Inde de l'ordre de quelques % de leur PIB, soit des sommes de l'ordre de 300 à 1000 Mds de dollars par an pendant probablement au moins 20 ans. La France a consacré 1,5 % de son PIB pendant 30 ans pour essayer de réduire les pollutions, d'épurer son eau potable et de traiter ses déchets domestiques, avec un succès mitigé. Les moyens publics sont toujours insuffisants pour réparer ce que les entreprises industrielles et l'expansion urbaine ne traite pas sur le moment.

Les pays riches comptablement se retrouvent donc sans argent public car leurs Etats ont tenté de sauver les banques de leurs excès spéculatifs afin de préserver les petits épargnants. Sans argent public, ces mêmes Etats font leurs comptes et constatent enfin la facture cachée de l'expansion économique mal régulée et reportant à plus tard les coûts environnementaux et sociaux, depuis au moins 70 ans.
Or ces derniers 20 ans, des individus hyper-riches se sont enrichis à un rythme de l'ordre de 5 à 20 fois plus (en partant de fortune déjà très élevées) que la moyenne de la moitié de la population mondiale restée pauvre (partant de très peu, voire de rien en dollars). De petites sphères privées ont capturé l'essentiel des surplus de l'expansion économique "facile", peu soutenable et probablement irresponsable de ces dernières vingt années. On estime (S. Georges–Attac) que les 86000 hyper-riches détiennent un ordre de grandeur d'avoirs de 50000 milliards de dollars en 2010 ce qui équivaut au PIB mondial d'une année (après la crise cette population a été réduite d'à peine 10%). Des individus détiennent donc à titre privé plus que certains pays où ils partent en vacances ou visitent leurs oeuvres caritatives (un calcul peut aussi être fait à propos des multinationales et leurs implantations).

A cause du manque d'argent public, les Etats des pays riches découvrent donc soudain le vrai coût des dégradations environnementales, des mécanismes complexes d'altération de la santé dans les villes, les espaces de production notamment agricoles, du changement climatique et de répartition de la biodiversité, etc... mais aussi de la fraude fiscale ou des montages de défiscalisation transnationaux, de l'inefficacité énergétique, de la mauvaise conception des produits et des services marchands, du potentiel économique des ressources aussi, notamment les énergies domesticables.


La crise spectaculaire de 2007-09 relance donc avec plus de force la très ancienne question politique des régulations du commerce devenu un grand marché et du rôle des institutions (dont les Etats) pour porter le développement humain et la prospérité. Mais bien au delà, c'est "l'efficacité globale" (vis à vis des contraintes biophysiques et en terme d'utilité pour les groupes humains) de l'économie qui est en question. Autant de sujets propres à ce qui est le plus avancé dans le développement durable et qui a eu tant de mal à convaincre depuis 1992.
Les concepts avancés ("développement durable 2.0" ?) de la "soutenabilité" (environnementale et sociale) des activités et plus récemment de la "responsabilité sociétale" des organisations peuvent apporter des cadres très pragmatiques d'une réforme là où le développement durable éthique ou moraliste a échoué.
"L'économie de l'écologie industrielle" ou "économie écologique" en est une base académique totalement sous-exploitée (Van den Bergh & Janssen, Economics of Industrial Ecology", MIT Press, 2004 ; Daly & Farley, Ecological Economics, Island Press, 2004-2011). 

Une nouvelle économie écologique peut inspirer un nouveau capitalisme : à condition de redéfinir l'écologie...

L'économie écologique dans sa version avancée (publications récentes d'après 2002) dénonce déjà les limites de principes du développement durable de première génération. Le recyclage total sans une éco-conception avancée (imbedded information), l'économie circulaire, la dématérialisation, une économie des fonctionnalités sans production industrielle, une écologie industrielle qui tente d'imiter les écosystèmes par exemple doivent être revus en profondeur et reformulés pour dessiner les transitions vers une économie soutenable, efficace, prospère et équitable. Ces progrès conceptuels attendus justifient des investissements de recherche appliquée significatifs dans une "nouvelle économie écologique" pour dépasser les naïvetés ou les approches trop élémentaires du Développement Durable 1.0, de l'économie verte ou de l'aménagement de l'économie classique en soutenabilité faible (dénoncée par les théoriciens de l'économie écologique).

Un nouveau capitalisme devra être reformulé et devra reconnaître que (1) l'on ne peut figer à quelques modèles simplistes (d'inspiration occidentale) les dynamiques complexes qui guident les relations sociales, (2) les inégalités géographiques ont demandé aux humains de trouver des stratégies de survie, parfois jugées primitives, dont on s'aperçoit aujourd'hui qu'elles peuvent rendre heureux et relativement libre, même sans accumulation de biens matériels et (3) la pensée économique rationnelle (Homo economicus) n'est pas le bon modèle pour faire progresser l'intelligence collective des humains et ses expressions politiques quand une proportion grandissante de l'humanité est exclue du jeu à force de perdre la compétition.

Par ailleurs, le nouveau capitalisme va devoir revoir sa comptabilité pour intégrer dans la formation des prix et dans les évaluations de ce qui est utile à la Société et assurable en cas de dommages, les coûts cachés des activités des entreprises, de nouveaux calculs de risques et la contribution à l'économie monétarisée des services gratuits rendus par la Nature. La crise du "capitalisme monétarisé" doit apporter des enseignements précis sur la "non-soutenabilité" (environnementale et sociale) de l'économie, de l'irresponsabilité devant les risques, de l'inassurabilité de certains dommages et donc des activités correspondantes. Des technologies puissantes et sophistiquées se révèlent aujourd'hui inefficaces si elles sont distribuées de manière centralisée et inadaptée aux besoins de services et de l'approvisionnement des clients–individus–citoyens–contribuables–travailleurs. Les nouveaux concepts de consommation et d'approvisionnement efficace, soutenable et responsable appellent une autre mobilisation des techniques en rupture d'avec les "business plans" et les politiques publiques traditionnelles.

La vision simplifiée du fonctionnement de la Nature proposée par les versions élémentaires de l'écologie scientifique (E. ODUM dès les années 1950) n'est pas à la hauteur pour repenser l'articulation entre (1) l'efficacité technique de l'économie, une sorte de métabolisme humain étendu à tous les objets, matières et énergies domestiquées, (2) les contraintes de l'environnement mais aussi la possibilité de jardiner la Biosphère (= l'écosystème terrestre) et de tendre vers une symbiose, et enfin (3) ce qui a du sens pour la population humaine, qui reste une espèce vivante inscrite dans le processus de Vie et participant à la complexification de l'écosystème vivant mondial. La science écologique intègre trop mal l'homme industriel-technologique-savant et son métabolisme en surchauffe. Il n'y aura pas de reformulation profonde de l'économie sans examiner le sens anthropologique des jeux d'argent et de la "culture matérielle" qui accompagne le progrès technique, le sens que peut prendre la domestication des ressources naturelles et de  l'environnement et la réparation des dégâts sur la Biosphère.
Sans un renouvellement de la Science "Ecologie" qui intégrerait pleinement l'émergence des Sociétés humaines (Voir V. SMIL, "Energy in Nature and Society : general energetics in complex systems", MIT Press, 2008) dans la description de l'écosystème planétaire et son évolution complexe, la pensée écologiste (politique) restera pétrie de métaphores insuffisantes, de modèles caricaturaux et d'analogies dangereuses.

Que serait une "nouvelle économie écologique" (car elle existe déjà sous cette appellation), élargie à ce qui est non-monétaire et à la reconnaissance de toutes les échelles de valeurs humaines, mais surtout qui sortirait des cadres disciplinaires de l'économie auto-proclamée au rang de science, rejoignant K. Polanyi qui dénonçait en 1944, le désencastrement de l'économie officielle monétarisée de la Société comme cause de la montée des fascismes. Quelle "science écologique" peut inspirer de nouveaux fondements à l'économie des Sociétés humaines contemporaines et dans quelle organisation assez complexe pour trouver son équilibre dynamique et évoluer dans le sens des intérêts généraux et d'une intelligence collective vertueuse, selon les régions du monde ou les cultures ?

Il va falloir revisiter sérieusement les développements de Polanyi (1943 et autres) sur "l'encastrement" de l'économie dans la Société et Kapp (1950) sur "l'utilité sociale", voire sociétale. Le caractère universel de ces notions doit aussi être revu pour intégrer quelques subtilités anthropologiques moins naïves sur ce qui définit les civilisations et les peuples (voir R. Callois sur les cycles de différenciation des peuples et J. Diamond sur les inégalités et les modes de vie). De la même manière, des étendards que sont la "responsabilité" ou les "gouvernances" institutionnalisées souffrent de ce que l'on ne sache pas si les humains en sont capables finalement. Ces débats vont devoir établir le chaînon manquant des idées, des connaissances et des concepts entre une "écologie scientifique généralisée aux systèmes humains industriels" (une nouvelle économie écologique, scientifique et avancée) et une "nouvelle économie, soutenable, prudentielle", capable de générer une prospérité en phase avec les ressources locales, selon les régions du monde en même temps que des équilibres mondiaux pour échanger, se mobiliser et devenir intelligents collectivement par un  jeu moins banal que la compétition. Autant de nouvelles doctrines qui peuvent renouveler la pensée politique. A condition de sortir des cadres écologistes élémentaires hérités des années 1970.

Actuellement, nos modèles naturels peuvent être les insectes sociaux (termites, fourmis...) et les systèmes coralliens, qui sont très complexes collectivement (disons "intelligents"). Mais ces communautés ont trouvé leur "intelligence collective" à partir de capacités individuelles limitées ou rudimentaires (sélection évolutive et auto-organisation), tant dans les intentions que dans les degrés de libertés de leurs constituants (individus). Inversement, les humains ont des capacités individuelles très élaborées, du fait d'avoir acquis un cerveau et un "métabolisme moyen" propice à l'utilisation de prothèses ou d'outils "exosomatiques", ainsi que d'une compréhension du monde et de ses constituants pour les domestiquer. Le chemin des Société humaines pour acquérir une intelligence collective aussi élaborée que les termites ou un métabolisme aussi complexe que les coraux et les organismes qu'ils abritent, va être difficile, même si les intentions, la capacité d'apprendre par essais-erreurs, permettent de se passer des mécanismes, trop longs, de l'évolution biologique par sélection darwinnienne. Il n'est pas sûr que d'être très intelligent individuellement permette de l'être collectivement. On peut observer les paradoxes décourageants des démocraties et généralement des Sociétés humaines dans le monde. Il ne faut pas oublier que les humains, comme tous les êtres vivants, restent entraînés partiellement par une complexification spontanée de l'écosystème planétaire et des formes de Vie (Biosphère et processus de Vie). La domestication des énergies et des ressources est trop récente pour que l'on sache si l'humain s'est significativement affranchi des "Lois" de la Nature. Ce processus dépasse la conscience humaine car il est thermodynamique et porté par l'incidence de l'énergie solaire sur la planète Terre depuis environ 5 milliards d'années. Au pire, le processus continuera sans les humains, d'ailleurs, comme à la suite des 5 grandes extinctions qui ont déjà eu lieu et qui ont permis notre émergence dans un environnement de moins en moins chahuté (climats cycliques, taux d'oxygène à 20%, pression à 1 bar, taux de CO2 mille fois inférieur aux périodes carbonifères, etc...). En prenant conscience du danger à s'entêter dans les trajectoires actuelles, les humains vont devoir trouver un nouveau sens à leur action ou à leurs intentions pour maîtriser/réguler leur puissance récemment acquise et rester dans ce que la "bio-économie de la Biosphère" rend possible (ce que l'on appelle l'écologie de la planète).

Il semble maintenant plausible que l'expansion économique calée sur des monnaies ne sera jamais assez riche pour corriger techniquement et financièrement les dommages sur la Biosphère (systèmes renouvelables, ressources, qualité de l'environnement, services gratuits des écosystèmes), surtout si les effets mettent du temps à se faire sentir. C'est le message essentiel du courant du Développement Durable. Mais les solutions politiques pour faire autrement, ne sont pas encore très convaincantes.
A partir des connaissances scientifiques de l'Ecologie, on peut établir une philosophie selon laquelle les humains pourraient domestiquer plus prudemment leur environnement et les ressources et changer profondément la Biosphère, la jardiner, par interactions complexes et ajustement évolutif. Dans ce cas la Nature en interactions changerait de dynamique et de paysage sous l'action de l'espèce humaine, pourvu que le processus de Vie continue. 
Cette idéologie ouvre le champ de modèles ou de trajectoires pour un "développement durable des Société humaines" au delà des discours fondateurs du Développement Durable 1.0, quelque peu dépassé aujourd'hui. Force est de constater que beaucoup des objectifs premiers du développement durable ne peuvent être tenus en laissant simplement faire la Nature ou en bridant l'émergence humaine. L'Homme n'est pas mauvais, il apprend et change le système. Toutes les espèces ont joué ce jeu pour intégrer le "système". Paradoxalement, dans une Biosphère déjà fortement modifiée, certains disent dégradée (climat, urbanisation, exploitation des espaces naturels, érosion de la biodiversité, pollutions, etc...) l'ingénierie humaine sera nécessaire (ingénieries écologique et environnementale ou IEE) pour corriger quelques dommages. Mais il faudra que l'économie des humains (en monnaie) et leur métabolisme (leurs moyens éco-énergétiques) soient capables de consacrer plus d'énergie domestiquée qu'aujourd'hui, pour maintenir l'humanité dans les processus naturels qui font la Vie ; ce qui sera de plus en plus artificiel et contredira l'approche rudimentaire de la pensée écologiste dominante.

La nouvelle économie capitaliste (les humains semble y tenir) devra faire un nouveau pari selon lequel (1) l'économie ne pourra jamais financer la réparation de ce qu'elle néglige au moment (échec de l'hypothèse de la soutenabilité faible), (2) on ne peut pas prévoir comment des dommages singuliers bien identifiés (gestion des risques) peuvent engendrer des changements globaux du système planétaire réputé complexe, (3) les changements globaux du système planétaire originel peuvent mettre en danger l'espèce humaine à court terme (perturbations du métabolisme ou de la santé/reproduction, diffusion de molécules artificielles toxiques incompatibles avec le vivant, incapacité des écosystèmes d'assimiler les changements sans se transformer, dégradation de ressources vitales (eau, air, climats, sols...)...), (4) la rationalité des humains est complexe ce qui les rend irresponsables, inconstants, incontrôlables, difficiles à satisfaire par une accumulation de biens ou trop de stabilité...

Nous avons là les ingrédients d'une "nouvelle économie écologique" qui peut nous guider sur le long terme, afin de trouver, inventer une trajectoire viable d'interaction plus complexe avec le monde. Vers une symbiose avec la Biosphère ? (voir J. De Rosnay 2003)... ou un nouveau degré, inconnu, de complexité du vivant sur Terre ?
Pour que "l'économie" se remette au service de tous les humains, se ré-encastre dans la Société (voir l'incontournable K. Polanyi) et porte l'émergence d'une intelligence collective, il faudra faire évoluer la pensée écologique : une science "Ecologie" avancée, moderne, fondamentale et libérée des concepts fondateurs dépassés car maladroits à appréhender la complexité du Monde. Conditions à une transition ou révolution écologique en politique...

A suivre.... (En cours de rédaction)

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