Les nouveaux enjeux de l'aide au développement consentie par les pays à hauts revenus et émergents envers les pays les moins avancés.


Depuis la chute du bloc soviétique, l’expansion de l’économie de marché et la financiarisation des activités ont été dopées par des prix des énergies maintenus assez bas pendant vingt ans. Cette forme d’économie aboutit aujourd'hui au constat selon lequel (1) l’emploi mondial est porté par les petites et moyennes entreprises, voire les activités artisanales micro-financées et non pas par les multinationales financiarisées, (2) l’économie en expansion depuis vingt ans concentre ses surplus dans quelques mains dont les avoirs rivalisent avec les budgets des Etats, (3) malgré les prises de conscience du Développement Durable de 1992, l’économie est devenue fabuleusement profitable au détriment de l’environnement, des ressources, de la biodiversité, des services gratuits des écosystèmes et du climat (4) l’aide au développement des pays les moins avancés par les pays dominants voit ses enjeux bouleversés par la compétition multipolaire pour les ressources (hausse des prix et des rentes), les spéculations sur les matières premières (effets de choc), la montée en puissance des jeux d’influence économique et des contrats de partenariat (les liens post-coloniaux deviennent obsolètes), la maîtrise des technologies (brevets et propriété intellectuelle) et de la formation professionnelle.

La crise financière et bancaire de 2007, devenue économique et politique, a mis en défaut incontestable les vertus des marchés libres ou dérégulés, la finance spéculative, la mondialisation du libre-échange, l’utilité sociale des multinationales (emploi, contributions fiscales, chaines de valeur, responsabilités) et les principes de soutenabilité faible ou de compromis écologie-économie. Ce retournement de la pensée dominante est une rupture inespérée pour un changement de paradigme dans l’organisation et le contrôle de l’économie mondiale, tant du point de vue des économies avancées, endettées et en panne de croissance, que des économies émergentes dépendantes des échanges internationaux, que des pays les moins avancés soumis aux chocs et aux dépendances.

Plus encore, les pays à économie avancée et émergente vont devoir nouer des relations de partenariat plus équitable (valeur partagée) avec les pays détenteurs de matières premières exportables, d’écosystèmes apportant des services ou des ressources renouvelables pouvant approvisionner les chaines de valeur capables de les exploiter de façon soutenable et responsable. Ces relations exploitant-exploité vertueuses ne pourront pas reposer uniquement sur des prix de marchés qui ne reflètent pas les coûts complets et la valeur globale des ressources extraites. Les économies des pays avancés et la maturité de celle des pays émergents vont dépendre de nouveaux rapports de force sur les avantages comparatifs dans un contexte d’inversion des raretés entre les ressources humaines et les ressources bio-physiques. A moins de vivre des surplus accumulés dans un contexte de guerre des monnaies et de diffusion libre des technologies, les pays avancés vont devoir réinventer leurs politiques économiques intérieures quand les pays émergents et peu avancés joueront la carte des coûts bas pour soutenir leurs marchés intérieurs. Les politiques d’accompagnement de l’entreprenariat et des capacités commerciales dans les pays les moins avancés et émergents vont désormais se retrouver au cœur d’une réorganisation du commerce mondial, de la diplomatie et des missions des institutions internationales.

Les  nouvelles logiques de « soutenabilité environnementale et sociale » et de « responsabilité sociétale » issues de la première génération du principe de Développement Durable/Soutenable, ont éveillé les consciences et commencent à être mobilisés dans les nouvelles politiques économiques acculées à trouver un nouveau moteur de croissance.
Les concepts de « croissance verte inclusive », d’écologie industrielle ou d’économie écologique, de diversification et d’efficacité énergétiques, de préservation des services des écosystèmes et de la biodiversité, puis d’économie sociale et de micro/méso-finance sont maintenant pressentis par une majorité d’institutions comme des clés du développement des pays du Sud, mais aussi du renforcement économique des pays du Nord en crise.
Pourtant, ces concepts ne sont pas bien maîtrisés par leurs nouveaux adeptes. Leur déclinaison dans le management stratégique, la conception des politiques publiques, mais aussi dans les contrats et les accords commerciaux est laborieuse ou même détournée (business as usual).
Une approche du Développement Durable de deuxième génération (Développement Soutenable 2.0 ?) devient nécessaire et possible, moins idéologique et métaphorique, afin que ses principes s'intègrent pleinement à des stratégies de rupture, des partenariats gagnants-gagnants, de la coopération plutôt que de la compétition, du partage d'information plutôt que des relations de dupe, etc... Cela vaut bien sûr aussi pour les relations entre pays et blocs économiques de technicité et de structure économique différente, faisant pleinement jouer les "avantages comparatifs", souvent confondus avec la question de la compétitivité des entreprises. De nouveaux modèle de business et d'organisation du commerce utilisent les notions de "valeur partagée" et "d'entreprises en réseaux coopératifs". Ces concepts validés par les sources académiques suggèrent un large éventail de nouvelles stratégies d'organisation des filières ou chaines de valeur caractérisées par des contrats entre entreprises jusqu'au consommateur final. La valeur ajoutée de ces chaînes est dirigée selon les cas par l'amont ou par l'aval de chaîne et génère la formation des prix, la maîtrise des coûts, la distribution de valeur d'aval en amont. Dans l'économie actuelle, les marchés et les pratiques déloyales des acteurs faussent le jeu et aboutissent à des aberrations que les Etats tentent de corriger par des subventions inefficaces et des règles jugées insuffisantes par les détracteurs du libéralisme. Les fournisseurs amont des chaînes valorisées dans les pays dominants sont généralement maltraités dans ce jeu déséquilibré. La nouvelles donne sur les ressources, sur les rapports Sud-Sud ouvrent la possibilité de nouvelles relations, sur fond de RSE et d'équitabilité, de développement par l'activité et surtout d'accords bilatéraux de long terme.

Les agences (ONUDI...) et programmes (PNUE, PNUD...) des Nations Unies, mais aussi les agences nationales de l'aide au développement (AFD, GIZ...) travaillent sur un axe d’intervention longtemps considéré comme secondaire car l’économie était dirigée par les grandes politiques industrielles. Mais cet axe est devenu stratégique aujourd’hui pour les organisations internationales et les Etats constituants, même à revenus élevés : (1) la réduction de la pauvreté par les activités productives favorables à l’emploi et à la redistribution de valeur, (2) le renforcement des capacités commerciales permettant de générer de la valeur partagée et d’articuler les économies locales et les marchés internationaux, (3) la promotion des solutions soutenables (environnement et social) et responsables (assurables et utiles socialement) de production, d’approvisionnement, de consommation et de services. 

Sur ces leviers devenus stratégiques, l’ONUDI est un interlocuteur privilégié et légitime des petites et moyennes entreprises, des institutions de soutien à l’emploi et au commerce, des banques et institutions financières, des autorités locales, pour trouver des synergies efficaces et intelligentes, malgré la stagnation des moyens. Mais l'ONUDI n'est pas encore reconnue comme un opérateur majeur auprès des entreprises de l’économie réelle pour la promotion des pratiques les plus avancées, les démonstrations, les expérimentations réplicables et pour l’augmentation des capacités à concevoir des activité soutenables et responsables, sobres, prospères et équitables (valeur partagée) dans les pays ou les régions d’intervention. 
Pourtant, une ingénierie spécifique de programme et de projet mériterait de se développer et d'actionner les effets multiplicateurs et de levier auprès d’entrepreneurs et de partenaires régionaux exposés aux paradoxes, mais aussi aux opportunités des crises.

L'aide publique au développement stagne, le financement privé provenant de la diaspora représente deux fois et demi l'aide publique et les interventions des ONG restent une accumulation de projets pilotes finalement encore trop peu significatifs en superficie et en impact social, malgré la force des symboles, une présence remarquable et une propagation des techniques par contagion. Pourtant, l'aide au développement peut représenter jusqu'à 30% du PIB de certains pays économiquement peu avancés. Leur balance commerciale est alors déficitaire à cause du poids croissant des importations de biens et services et de l'énergie. Deux raisons de réaliser une transition pour réduire drastiquement la facture énergétique et accroître la sécurité alimentaire dans les pays dont on exige par ailleurs, s'ils sont endettés, des réformes structurelles et des politiques d'exportation inefficaces pour le développement humain et nourrissant des filières non-soutenables et non-responsables.

Dans ce contexte, on conçoit bien que le recentrage des politiques d'aide au développement et de coopération technique sur une refonte des relations entre pays exportateurs de ressources et pays consommateurs autour de chaînes de valeur partagée, de la productivité des ressources et d'un co-développement, semble inéluctable. Les accords politiques bi-latéraux vont se combiner plus encore avec les mécanismes de marché pour déterminer l'approvisionnement des pays fortement consommateurs en matières premières et en énergies distribuées et les rentes financières ou la coopération. La Chine tient une rhétorique d'un jeu gagnant-gagnant mais ne tient pas ses promesses quand les anciens colons progressent dans de nouvelles relations confiantes sans oser les requalifier. La diplomatie économique des pays riches, considérés au travers de leurs unions douanières, va devoir réviser les motivations et les stratégies du soutien au développement des anciennes colonies d'une part ou des pays émergents d'autre part, en rupture avec les discours post-coloniaux dépassés. Des modèles de co-développement en boucles rétroactives vertueuses et en relations gagnant-gagnant entre pays de technicités différentes (inspirés de l'écologie théorique et de la systémique complexe) existent mais ne sont pas encore valorisés dans les relations internationales.

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