Le management de la RSE va devoir clarifier ses objectifs de "soutenabilité", sa portée vraiment stratégique pour les entreprises et les opportunités ouvertes par les nouvelles politiques publiques.

Le management des questions environnementales et sociales dans les entreprises a connu plusieurs périodes avec la montée en puissance des réglementations, les pressions de l'opinion ou des enjeux de notoriété (notamment à la suite d'accidents industriels) et enfin pour des raisons économiques et stratégiques (maîtrise des coûts). Les questions anciennes des politiques sociales, puis plus récentes sur l'environnement (à défaut de relever de l'Ecologie), et enfin du Développement Durable, tendent à être regroupées sous la bannière de la Responsabilité sociale et sociétale.
Les normes sur la qualité puis sur le management environnemental (normes Iso 14000) ont beaucoup apporté à la transformation des principes généraux de la prévention des risques environnementaux, puis du Développement Durable, dans le management opérationnel. Mais, ces outils ont aussi caché l'inertie des entreprises et leur capacité à soigner leur image sans trop d'implications (faible taux de certification Iso, communication et reporting aménagés, etc...).
La norme Iso 26000 sur la Responsabilité Sociétale, recouvrant, englobant et pour le moins, complétant partiellement des dimensions du Développement Durable sous la bannière de la Responsabilité, va introduire de nouveaux référentiels dont il sera intéressant d'observer l'impact sur le management, pas seulement des entreprises. Nous verrons plus bas, qu'il y a plusieurs arguments pour montrer que la bannière de la "responsabilité" ne puisse remplacer ou même englober celle de la "soutenabilité" (qui sous-tend le Développement Durable) pour guider un changement significatif de l'économie et des activités humaines en général. Des chercheurs ont bien montré dans les années 80-90 ("Le prix du risque", J.P. Maréchal, 1991. par exemple) comment la nature des accidents environnementaux majeurs (catastrophes industrielles brutales et pollutions chroniques toxiques à faibles doses) met en cause les principes de calculs de l'assurance, de la responsabilité assumée, de l'intérêt général et du coût social relatifs aux dommages considérables et à l'occurrence imprévisible de ces événements. Il a fallu attendre l'accident de Fukushima en 2011 pour que les modèles de calcul de risque technologiques soient mis en cause ouvertement. Ce débat fait écho, aux questions récurrentes de la gestion des risques environnementaux majeurs et des risques asscociés aux spéculations financières, ne peuvent se satisfaire des modes de calcul probabilistes et statistiques d'occurrence des événements que l'on craint. Plus encore, l'industrie des assurances est en crise depuis plusieurs années maintenant, car ses modèles traditionnels perdent en rentabilité et les calculs de "l'assurabilité" des activités humaines rencontrent des paradoxes bien connus de la théorie, à mesure que les accidents majeurs se multiplient, tant sur le terrain des technologies que des aléas naturels (effets du changement climatique et de l'exposition aux séismes). Or, les bases de cette critique de la gestion probabiliste des risques étaient connues depuis au moins Mandelbrot en 1962 (fractales et autres structures du hasard appliqués à la finance), voire depuis le développement de la physique statistique dans les années 1920. En conséquence, certaines activités des humains ne peuvent pas se satisfaire d'une gestion du risque simplifiée au risque de tomber dans l'illusion de contrôle et le paradoxe de l'inassurabilité et de l'irresponsabilité. Le principe même de "responsabilité" est mis à mal dès lors que les activités évoluent en environnement incertain et incontrôlable. Des événements comme les scandales de l'amiante, du médiator, de la plupart des pesticides et bientôt du bisphénolA, des phtalates, de l'aspartame et de l'huile de palme (effets sur la santé humaine) ont un rapport avec les accidents de Tchernobyl et Fukushima, et la crise bancaire américaine de 2007-08 ; ils correspondent à des solutions techniques et des activités non-assurables, non-soutenables et non-responsables sociétalement.

Dans ce contexte, réunissons quelques points d'un débat sur les promesses et les illusions de la RSE (entreprises) pour piloter le changement vers une économie soutenable et responsable. Bien au delà de l'incapacité des banques à s'assurer elles-mêmes sans recourir à l'assureur en dernier recours que sont les Etats, la crise financière de 2007-09 a révélé combien la structure de l'économie (au sens large comprenant les microéconomie, macroéconomie, économie politique, Droit et régulations, économies grises, économies non-monétarisées...) pose problème dans sa définition du commerce, du financement, des régulations et de la légitimité et la capacité des Etats à intervenir sur les marchés. La "responsabilité" et l'irresponsabilité des entreprises pose celle des Etats (et autres institutions de gouvernance) et celle des individus qui sont aussi organismevivant-citoyens/sujets-électeurs-consommateurs-travailleurs,  ambivalents et peu conscients de leur pouvoir de se révolter, d'être libres moralement et de voter ou d'acheter. Autant de comportements qui montrent que le commerce est politique et que la politique doit commander le commerce car les marchés sont défaillants à préserver les intérêts communs, les biens publics et le développement des sociétés humaines dans la prospérité.

Je propose une représentation simplifiée des périodes du management environnemental et social depuis 30 ans, en France, et de ce qui caractérise, ces périodes. Une prospective est proposée. A un moment donné, chaque forme de management est pratiquée par une proportion des entreprises en activité (les proportions proposées sont intuitives et indicatives).


 
Notre schéma propose de rappeler comment les entreprises, prises au dépourvu, ont inventé un "management vert" défensif et communicant dans les années 80. Celui-ci a rapidement été remplacé par un management plus opérationnel mais dépendant des normes encore timides qu'est le "management HSE" (Health, Security, Environment). Puis, après 1992, le Développement Durable a proposé d'englober le tout et les entreprises, notamment grandes, ont pris (toutes ensemble d'ailleurs) une option stratégique pour asseoir leur notoriété en affichant un engagement DD, en nommant des responsables et en acceptant un reporting annuel très professionnel, non sans une certaine hypocrisie à peine feinte.
Les dérives "morales" du business, notamment sur les écarts de rémunération, des stratégies orientées actionnaire, les pratiques de délocalisation dans des pays peu regardants de l'environnement et des questions sociales, ont affirmé la différence de nature entre la politique Sociale et Sociétale de l'entreprise (la RSE ou CSR en anglais) et ses engagements pour l'Environnement, la gestion des ressources et de l'énergie, voire récemment la prise en compte des impacts sur la Biodiversité, etc.. (confinant à l'essentiel des engagements Développement Durable). Or, derrière Développement Durable (en français) il y a le critère de la "Soutenabilité", développé maintenant par les économistes pour englober les questions quantitatives d'efficacité et d'intensité énergétique et de matières, "l'internalisation des externalités", la redistribution de valeur ajoutée, la prospérité, etc... La soutenabilité pose la question des bases biologiques, physiques et environnementales (Biosphère) de l'économie (voir R. Passet et L. Brown par exemple, sur la bioéconomie).
La confusion est à son comble aujourd'hui car selon les cercles, "soutenabilité" englobe, est synonyme, voire est englobée par "responsabilité", surtout assortie de la notion de Sociétale. Pire encore, en français, l'accronyme "RSE" veut dire Responsabilité Sociale des Entreprises ou de plus en plus Responsabilité Sociale et Environnementale (voire Sociétale)... donc pas seulement des entreprises, sous-entendant un jeu à plusieurs parties prenantes !
De ce point de vue, l'arrivée de la norme Iso 26000 est symptomatique des insuffisances du Développement Durable 1.0. Les rédacteurs du référentiel Iso 26000 ont été assez larges et ouverts, ne tuant pas les outils qui fonctionnent comme Iso14000 par exemple. Le passage d'une logique de "Durabilité ou Soutenabilité" à une logique de "Responsabilité" ne résout rien, ce qui est l'objet principal de ce billet. Le management des entreprises et de la Société toute entière vont devoir clarifier leur formulation d'objectifs et de performances sur la Soutenabilité (Environnementale et Sociale) et sur sa prise de Responsabilité Sociétale et pas seulement Sociale (approche SE&RS que nous proposons) au risque de rester dans le verbe et les incantations, entre morale, capacité de se projeter et illusions de contrôle sur des systèmes complexes.

Les politiques sociales ne datent pas des années 1970, la lutte est ancienne pour imposer au patronat de respecter des règles pour avoir le droit d'employer des salariés. Globalement, tous les pouvoirs politiques tendent à privilégier les négociations par entreprises ou par branches, plutôt que de manier la Loi. Néanmoins, on a vu le Droit du travail et de la protection des salariés s'étoffer de nombre de règles dont la plupart étaient en place à la fin des années 1970. Au delà des évolutions de la Société, nous verrons comment le management des entreprises a du intégrer de nouvelles dimensions du fait de sa financiarisation et sa globalisation. Or, la RSE (entreprise) répond à cette nouvelle donne dans le jeu social, sur fond de division internationale du travail, de délocalisations industrielles, de règles du commerce supposées libres mais cachant des mécanismes de protectionnisme hégémoniques (à commencer par les manipulations de cours des monnaies). Autant de stratégies qui n'étaient pas encore visibles à la fin des années 1970.
Cette même période a été marquée par la montée en puissance des réglementations sur la protection de l'environnement et du cadre de vie, notamment sous l'influence des accidents industriels dont les dommages augmentaient, mais aussi l'engagement de l'Etat dans des politiques de rattrapage des négligences du passé. Les pouvoirs publics ont dû initier un difficile et long chantier pour encadrer les pratiques (entreprises, particuliers et l'Etat lui-même) générant des coûts ou des dommages non-assumés, préserver les biens communs, anticiper sur les risques pour la santé. 
Quarante ans plus tard, qu'il s'agisse d'environnement ou de social, les réglementations ont proliféré mais restent difficiles à appliquer, souvent contradictoires, et très dépendantes de l'arbitrage politique sur fond de crises économiques et de déficit budgétaires mondialisées. Un "grand basculement" (Sevrino-Ray, 2011) a eu lieu, inversant les raretés (homme qualifiés contre ressources) et permettant au monde moins développé (surtout les pays émergents) de tirer la croissance économique mondiale en aggravant le bilan environnemental. Les pays développés sont complices car ils consomment les produits dont la production a été délocalisée pour un moindre prix (les coûts cachés sont reportés à plus tard et ne sont pas intégrés). La finance domine le monde de ses excès irresponsables, créant des bulles qui sont autant d'illusions sur ce que l'économie mondiale est réellement capable de produire comme "richesses" au détriment de la "prospérité" et du bien-être. La naîveté souvent et le cynisme toujours des raisonnements de la finance spéculative de court terme à propos du fonctionnement réel du développement économique affaiblit les pays "riches" qui ne produisent plus grand chose à des prix accessibles pour le reste du monde. Les investisseurs de long terme chargés de préserver la valeur des surplus accumulés dans les années glorieuses aux ressources illimitées en apparence, peinent à trouver des activités solvables pour tenir la rémunération de leurs titres. Le temps des rendements à deux chiffres supposés de long terme est révolu, de même qu'un prospérité des pays riches basée sur la consommation massive et aveugle de ressources.
Des transitions vont s'amorcer et les grandes entreprises vont devoir trouver de nouvelles stratégies de business, rentrant en compétition avec celles des pays émergents. Le changement de comportement et du rôle de la financiarisation des activités ne sera pas guidé par l'éthique mais par les réalités de la compétition entre les anciennes économies dominantes et les économies émergentes qui ont encore besoin des clients riches pour tenir leur développement. Jusqu'au jour où elle pourront compter sur leurs marchés intérieurs. En attendant, le commerce mondial va devoir trouver de nouveaux terrains de jeu car celui de la production à bas coûts n'est plus à l'avantage des pays dominants. Ce basculement de l'économie mondiale va donner sa chance à la "green economy" et à des accords équitables sur les normes de qualité des produits et approvisionnements (barrières non-tarifaires sur les biens et services échangés). L'OMC est un lieu de déclaration de guerres et d'armistices entre les pays adhérents. L'OMC a pour l'instant fait des compromis pour exister et fini par truquer le jeu du libre-échange en attendant la période idéale et probablement inaccessible où le moddèle du marché libre serait réalisé. En attendant, le libre-échange est un mythe dont les coûts et inconvénients pour l'économie existent mais n'ont pas été évalués. Si l'on observe combien les protectionnismes dominent finalement le commerce, on peut dire que le libre-échange est un échec et n'est pas le bon modèle d'un marché mondialisé. Or l'OMC n'est pas une organisation mauvaise en soi. Elle n'est que le reflet des rapports entre ses adhérents. Par exemple, elle ne faisait pour l'instant pas valoir son article 20 (prévoyant des clauses de protection de l'environnement et des droits sociaux) pour intégrer la soutenabilité environnementale et sociale dans l'arbitrage des échanges, car les Etats en forte croissance s'y opposaient. Ce temps pourrait changer car les pays riches (PIB élevé par habitant) ou développés (% de l'économie des services sur production et protection sociale avancée) ont intérêt à introduire de nouvelles règles de "différenciation" (sur les avantages comparatifs) entre pays ou blocs économiques, et de "compétitivité" des entreprises, ayant perdu la main dans le jeu de la production matérielle industrielle. Ces changements de règles seront orchestrés par les Etats souverains et peuvent ouvrir le champ du développement durable ou de son prototype qu'est l'économie verte sans faire appel à l'engagement moral, ni à l'éthique, ni à la responsabilité (en tous les cas comme motivation première). Les entreprises suivront selon qu'elles en ont l'intérêt stratégique mais bon nombre d'entre elles, y compris PME-PMI tenteront de préserver leurs avantages de situation ou les défauts de règles dans la transition.

Le Développement Durable énoncé en 1992, posait implicitement la question d'une éthique et de responsabilités dans une économie mondiale qui a accru substantiellement les inégalités de revenus (20% de la population mondiale détient 95% des richesses en dollar en 2009 et moins de 10 millions d'individus (0,014%) ont des liquidités représentant après la crise de 2009, près de 50000 milliards de dollars, soit 4 fois le PIB des Etats Unis), mais aussi de profits (x 11 pour les multinationales entre 1990 et 2000, alors que l'emploi de ces entreprises augmentait de 1,7%) et de PIB entre pays (on estime le pouvoir d'achat d'un américain dans un rapport de 1 à 78 avec celui des africains moyens) sur un PIB mondial pourtant en forte croissance (x 7 depuis 1950).
La crise financière des pays riches en 2007, devenue mondiale depuis, révèle le vrai fonctionnement de l'économie mondiale tel qu'il était dénoncé par quelques activistes marginaux. Les consensus sur le libre-échange, sur la division mondiale du travail et les distortions environnementales et sociales, puis le défaut de contrôle des banques privées par les Etats, sont autant de dogmes qui volent en éclat dans les consciences mais pas encore dans la vie économique et politique.
Aujourd'hui, les entreprises et les Etats intègrent tant bien que mal les questions environnementales et de santé dans leurs stratégies et leurs politiques générales. Mais la dimension sociale des activités est plus complexe à rationnaliser et à normaliser, surtout si elle écorne les dogmes qui dirigent la croissance économique et son pendant financier en crise aujourd'hui.
Plus encore, la dimension "sociétale" du développement durable/soutenable avait été posée en 1992, notamment par le principe intergénérationnel (...léguons à nos enfants un planète en bon état). Mais ces concepts ont du mal à trouver leurs outils en Droit, en politique, en économie et globalement dans la vie de tous les jours des individus qui ont leurs habitudes, leurs petites lâchetés et leurs contradictions. Le processus de changement est complexe et doit être basé sur des mécanismes complexes avec comme première étape l'établissement d'une conscience (du besoin de changer) auprès d'un nombre significatif des individus et organisations qui participeront au processus.

En conclusion intermédiaire, dans les années 90, à trop vouloir englober pour démontrer la nécessité d'approche dite "hollistes", le Développement Durable a finalement jeté la confusion en mettant au même plan dans une note globale de performance des sujets qui ne relèvent pas du même niveau logique. Les processus de changement, de mutation, de crises ne reconnaissent pas ces assemblages conceptuels du Développement Durable. Les "motivations" de Soutenabilité et de Responsabilité doivent être revisitées et mises en perspective des besoins du management stratégique et opérationnel (entreprises et toutes autres organisations), mais aussi de la conception des politiques publiques et du débat entre les individus.

La responsabilité sociétale appelle les notions d'intérêt commun, d'utilité et de coût social, de "politique de civilisation" (E. Morin). La "Société" humaine est d'ailleurs constituée de plusieurs civilisations de technicité et de systèmes de valeur très différents qui se côtoient. Le modèle de civilisation dit "occidental" dont les produits et les architectures, les cultures alimentaires et de loisirs, les besoins énergétiques, les codes se propagent, est porté par l'économie monétarisée (en dollar) officielle. Mais à quelle civilisation appartiennent ceux qui sont exclus de l'économie officielle ? Les chiffres officiels donnent quelques références quitte à demander à des contre-pouvoirs comme ATTAC de les analyser pour nous : 92% de l'économie monétarisée (que l'on peut rapporter en dollars US) est détenue par 20% de la population mondiale, soit environ 1,5 milliards des 7 milliards d'humains. Tous les autres (5,5 Milliards) se contentent de miettes (8% de l'économie en mesurée par le PIB) et vivent selon d'autres codes, notamment ceux hérités de leurs ancêtres et comptant sur la Nature pour trouver une certaine prospérité. Plus encore, seulement 78000 individus ultra riches, qui ont perdu des sommes colossales dans la crise de 2007-09, possèdent encore en 2010, en liquidités (disponible pour investir) autour de 13 000 milliards de dollars, soit l'ordre de grandeur du PIB des USA d'une année (Susan George, "Leurs crises, nos solutions", 2011).
Les plus grandes entreprises mondiales (environ 15000 en 2005) génèrent par leur activité, près d'un tiers de l'économie mondiale officielle, leurs sous-traitants directs le deuxième tiers. La myriades des entreprises moyennes et petites qui font l'essentiel de l'emploi mondial génèrent le dernier tiers...seulement.
Les marchés et, in fine, les plus grandes entreprises, mettent la main sur la Nature et sur des biens communs pour les diriger dans l'économie officielle, c'est à dire vers 20% de la population. Or, 40% des dividendes ou bénéfices de ce jeu en dollars vont à moins de 5% d'individus (pas des entreprises). Le système peut être résumé par "Commonize Costs and Privatize Profits" (CCPP) au détriment de la "Société" et particulièrement des 80% d'individus les plus pauvres (ils se contentent de 5% de l'économie officielle) qui voient la terre de leurs ancêtres disparaître.
Il n'est pas étonnant dans cette guerre latente et sans ligne de front, que les trafics, les pirates, les tricheurs, les contrebandiers, les voleurs prolifèrent et tentent d'accéder à la table du jeu en dollars.

On ne peut résumer le jeu de l'économie officielle monétarisée à un simple match Business-Société ou Ecologie-Economie ou encore Individus-Pouvoirs, car le jeu est complexe et il faudra le décrypter pour en changer.
Les lois de marché capitaliste animé par des professionnels et dominé par des multinationales ou des grandes firmes puissantes, instaurent un "marché de dupe" où l'on ne sait plus qui maîtrise le jeu, qui doit le réguler et qui peut faire pression sur qui. Mais le système fonctionne, car les clients finaux se sentent obligés de s'approvisionner (Demande), les fournisseurs se sentent le droit de répondre à la demande à moindre coût (Offre) et les Etats (ou toute autorité publique) tentent de prendre en charge ce que le marché dédaigne car la rencontre entre offre et demande ne se fait pas naturellement à un prix praticable. Le jeu d'Offre et de Demande est d'ailleurs pipé car les professionnels savent créer la demande en fonction de l'offre qui génère le plus de profit. L'heure est au neuro-marketing reléguant l'utilisation dans les années 60, des messages subliminaux, au rang des gadgets. Le consommateur ne se rend pas compte qu'il vote en achetant et que le scrutin confirme les stratégies des distributeurs pour capter le plus grand profit.
Le "marché de dupe" est une métaphore intéressante car elle n'établit pas de méchants et de victimes ; seulement un jeu gagnant-perdant, alors que des jeux gagnants-gagnants pourraient s'imposer si l'humanité apprenait de ses erreurs et de ses souffrances.
Le consommateur final du système est tiraillé entre ses intérêts de consommateur, mais aussi de travailleur (en général salarié), de citoyen, électeur, contribuable et d'individu sensible, vulnérable et mortel.
Il consomme sans avoir vraiment demandé, des produits et services conçus par des marchés (entreprises) qui externalisent les risques et dommages, réduisent les coûts en exploitant des failles de système de régulation et enfin confisquent les dividendes. Si quelque chose se passe mal, les Etats et la Nature payent les dommages et par répercussion le citoyen contribuable devient l'assureur de ceux qui font les profits. Les chiffres rappelés plus haut en fixent les enjeux.
La protection du consommateur a des limites, qu'elle soit inspirée par l'autorité publique (qui a lui-même ses conflits d'intérêts) ou par des organisations indépendantes, car les initiatives des entreprises prennent de vitesse le débat public et la mise ne place de règles. Des théories économiques ou de la gestion comme l'asymétrie d'information, les coûts de transaction, les rendements décroissants, les externalités, les coûts actualisés, l'économie de l'environnement et des régulations, puis les parties prenantes, etc... ont assez bien décrypté les éléments du jeu et ses défaillances. Mais la théorie économique et les dogmes politiques qui les mobilisent ne savent pas encore comment changer le jeu.

La question d'économie politique selon laquelle les marchés libres auraient des vertues à régler naturellement les défauts ou les défaillances que l'on peut leur reprocher (ne pas intégrer les coûts différés de préservation de l'environnement et de la santé, de ne pas protéger les biens communs, etc...) est posée de nouveau, sur fond de crises multiples, mais surtout financière.
La crise financière de 2008 sur les subprimes américaines, puis les banques, puis les Etats et enfin l'économie des pays à hauts revenus (développés) apporte un coup décisif aux dogmes libéraux sur la vertu des marchés. Les marchés sont défaillants à préserver l'intérêt général, notamment le système financier mondial, la répartition et l'exploitation durable/soutenable des ressources et à donner sa chance au plus grand nombre pour percevoir des dividendes de l'expansion économique mondiale. Les Etats sont de nouveau légitimes pour intervenir sur le commerce et réguler l'économie.
Mais se pose la question alors de quel serait l'objectif de la régulation et quelle forme est efficace.
Pour faire bref et diriger le propos sur la définition de la Responsabilité Sociétale, la crise financière et bancaire nous montre que le Monde est assez riche pour sauver un système à raison de 15 000 Mds de dollars dont à peine 7000 ont été remboursés par les banques à qui on a prêté, que ces mêmes banques se permettent de spéculer sur les monnaies et les dettes des Etats qui ont tenté de les sauver. Et enfin, les banques (au sens large) sont une industrie totalement irresponsable, incapable d'assurer ses propres activités sans l'aide des Etats et donc des contribuables. Le coût social/sociétal de cette irresponsabilité est de l'ordre de 10 000 Mds de dollars à ce jour, sans compter les effets indirects de la crise sur les économies dans les pays développés (croissance zero et chômage). On peut se poser la question  de l'utilité sociale des banques spéculatives, sachant qu'une part de leur activité spéculative ne finance pas l'économie réelle ou mal.
Les crises et les accidents industriels (Tchernobyl, Fukushima...) illustrent bien à quels montants se chiffrent les dommages de l'irresponsabilité des industriels et entreprises, dans le jeu économique actuel. Nous avons là une définition de la Responsabilité Sociétale, donnant l'avantage de l'évaluer quantitativement (et monétairement).
Ajoutons que les multinationales "défiscalisent" une partie importante de leur imposition et utilisent couramment l'emploi comme variable d'ajustement des résultats annuels et la délocalisation comme moyen de réduction des coûts, profitant dans tous ces cas de failles du système mondial de régulation du commerce. Ces entreprises sont-elles utiles socialement quand elles ne payent (en France) que 19% d'impôts, alors que les PME-PMI en payent 39% sur la même assiette ? Ces mêmes entreprises distribuent largement les dividendes aux actionnaires et aux gérants professionnels (mercenaires ?), profitant d'un marché du travail pléthorique et de la dilution des forces entreprenariales.
La Responsabilité Sociétale pose la question de l'assurabilité des activités, de l'utilité sociale des entreprises irresponsables et de la capacité des Etats à assurer le système "en responsabilité limitée" qui prévaut aujourd'hui.
Contrairement à ce qu'elles affichent (too big to fail and too big to bail), la plupart des grandes entreprises se révèlent insolvables si elles sont gravement défaillantes. Sauf si elles ont l'opportunité de faire chanter les Etats sur les conséquences de ne pas décider de plan de leur sauvetage, dont certains rappellent qu'il s'agit dans ce cas d'une nationalisation contraire aux dogmes du libéralisme. Les filières nucléaires ukrainienne, puis japonnaise n'ont pas eu à indemniser les victimes de Tchernobyl et de Fukushima et décontaminer les sols, car elles n'en avaient pas les moyens. Encore aujourd'hui, ce sera l'Union Européenne qui financera le nouveau sarcophage de Tchernobyl car l'Etat ukrainien ne se prive pas de reporter sur l'Europe voisine, la charge de trouver la meilleure solution de long terme. L'accident DeepWaterHorizon dans le Golfe du Mexique a révélé les investissements insuffisants de toute une profession dans la sécurité et la prévention des accidents car cela coûte beaucoup plus cher que d'indemniser des dommages. Mais BP a été sommée par l'Etat fédéral US de "couvrir" les dommages à raison de quelques 60 Milliards de dollars bien au delà de ce que les contrats d'assurance avaient prévus dans les contrats d'exploitation. Le message est fort et ne repose pas sur les décisions de la justice. BP était solvable car leader d'un marché très rentable et n'a pu se défausser d'un marchandage avec les autorités des Etats Unis et probablement de son propre pays le Royaume Unis. Contrainte et forcée, dans un pays qui ne badine pas avec les transactions de justice et avec les démantèlements anti-trusts, BP a démontré malgré elle qu'elle pouvait prendre sa responsabilité sociétale, même si les sommes correspondantes ne compensent pas tous les dommages. Habituellement, les compagnies pétrolières faisaient jouer leurs influences politiques et leurs officines de lobbying pour étouffer les affaires et réduire la dépense à quelques centaines de millions de dollars. Dans le cas de DeepWaterHorizon, l'accident a déversé environ dix fois plus de pétrole dans l'environnement qu'un accident "habituel", mais le prix de la compensation a été multiplié par environ 1000. BP mettra quelques années à amortir cette "prise de responsabilité sociétale" forcée, démontrant ainsi un nouveau rapport de force avec les Etats et avec les très nombreuses parties prenantes d'une telle crise. La plupart des grandes entreprises cotées sur les marchés financiers peuvent méditer sur ces présages d'une nouvelle économie politique.
On pourrait réinterpréter ces faits récents en terme d'éthique des affaires, vue par le prisme de la "real-politik" qui anime tous les jours les stratégies des grandes entreprises : on doit convenir avec quelques chercheurs innovants en management qu'une "hypocrisie organisationnelle" délibérée et organisée s'est instaurée pour gérer l'inconciliable tout en préservant la parole du PDG/CEO. Les outils de l'hypocrisie organisationnelle ne sont même plus choquants dans les cercles des professionnels et de leurs chapelles que sont les business schools de rang international (les dispositifs de l'hypocrisie organisationnelle sont, la communication stratégique, les délégations de pouvoirs et de responsabilités, l'outsourcing/sous-traitances en montages complexes, la communication de crise, le lobbying, l'influence, les collusions politiques, le recrutement de fonctionnaires influents dans le privé...).

En conclusion intermédiaire, la prise de responsabilité sociétale ou même seulement sociale des entreprises, notamment les grandes, est impossible sans compromettre les business plans et la rentabilité de celles-ci. Pour l'appliquer, il faudra revoir tout le système économique et financier mondialisé et établir de nouvelles règles sur les contrats, sur l'assurabilité des activités, sur les régulations de Droit et le contrôle (Systèmes command/control globalement défaillant dans le monde), etc... Rien de moins. 
La responsabilité sociétale ne semble applicable que par des entreprises petites à moyennes, en réseaux sociaux, constituées d'entrepreneurs implantés localement, payant leurs impôts localement, contribuant à un projet de territoire avec des effets multiplicateurs, en partenariat avec les autorités régionales, etc...

L'éthique des Affaires préoccupe les syndicats patronaux et les business schools depuis longtemps, mais avec la financiarisation et la globalisation des marchés les enjeux et la rhétorique ont évolué. D'une inspiration d'entrepreneurs, l'éthique des affaires est devenue un espace de la communication stratégique et cache ses calculs et ses engagements réels. Les fondements philanthropiques de l'éthique des affaires alimentent des raisonnements trop faibles face aux paramètres stratégiques des entreprises qui sont les profits industriels, la distribution de ces profits, le jeu de la finance spéculative et les contraintes sociales et réglementaires. Typiquement ce qui représente des coûts et des contraintes (environnement, sécurité, bien-être au travail, partenariats avec les autorités, etc...) est généralement sacrifié sur l'autel de la résignation et d'un principe de réalité. Pourtant, avec le temps, es Etats constatent combien ces compromis sur la soutenabilité des activités se payent cher quand viennent les dommages annoncés.
La RSE déclarative, communicante et philanthrope fait partie de l'hypocrisie organisationnelle déployée par les firmes, notamment les plus grandes et internationales. D'ailleurs les bilans de performances des entreprises (reporting extra-financier) affichent des résultats depuis 10-15 ans qui ne correspondent pas avec les bilans mesurés dans les territoires et à l'échelle mondiale, quand on sait que les 50 000 premières multinationales et leurs sous-traitant directs génèrent environ les deux tiers du PIB mondial. Ces grandes firmes déclarent des intentions de prendre leurs responsabilités mais pèsent de tout leur poids pour imposer une comptabilité fallacieuse, en apparence professionnelle, au service de la désinformation. Les tableaux de bords et les indicateurs de RSE produits par les compagnies de consulting auto-proclamées spécialistes, sert d'alibi aux dirigeants qui pilotent le "management par hypocrisie instituée".
Le management des entreprises est devenu une affaire de professionnels à la fin des années 1970, montant en puissance pendant vingt ans. Depuis la fin des années 1990 (affaire Enron, bulle de la nouvelle économie internet...), les engagements moraux ou éthiques sont devenus embarassants dans un monde d'affaire pragmatique et assez cynique. La crise bancaire actuelle montre à quelle extrêmités les managers professionnels ont poussé les logiques de profit irresponsable, car non-assurable. L'hypocrisie et la cupidité associée à l'ivresse du pouvoir donné par l'argent, deviennent des principes organisationnels au dépend de la Société toute entière et de son développement. Les outils de management ne choquent pas, tant le prestige des cabinets de consulting et la naïveté des ONG est grand. Ces dernières sont d'ailleurs de plus en plus associées à l'élaboration et à la certification de fait de ces politiques de communication habillées de calculs savants. Dans les années 1980-90, en Europe, les partenariat entre entreprises et ONG ont tué le développement du marché des bureaux d'étude et de conseil indépendants que les agences gouvernementales ont timidement tenté de promouvoir. Ces experts professionnels ont vu les universités et les ONG "d'amateurs" rivaliser avec elles, confondant les rôles d'auditeur et de contre-pouvoirs. Les entreprises et les syndicats de filières industrielles ont parfaitement su désamorcer le terrain des études préalables d'impact, des engagements compensatoires et d'accompagnement initiées par les administrations de contrôle.

La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE en français et CSR en anglais) est née quasiment en même temps que le Développement durable/soutenable dans les années 1990, initiés par de nombreux pionniers dans les décénnies qui ont précédé, voire dans l'Antiquité, si l'on suit le cheminement des questions d'éthique et de responsabilité en général (Aristote et la chrématistique). L'humanité n'a donc pas résolu ses rapports avec la spéculation de court terme et avec l'arbitrage politique entre intérêts particuliers et généraux. 
Lors des révolutions industrielles du vingtième siècle et dans un marché privé en développement, les Etats se défaisant de leurs affaires coloniales, et tant que les entreprises ou les firmes (théorie de la firme) étaient petites, locales ou nationales, les questions sociales ont été réglées par des tensions et des négociations d'individus à individus, sur fond de lutte de classes. L'entrepreneur  et l'investisseur ou actionnaire restaient identifiables.
C'est avec le développement des très grandes entreprises, dans les années 1970, aux actionnaires en partie anonymes et internationaux, aux managers professionnels ayant des profils de mercenaires intérimaires, que la question sociale et sociétale dans les affaires a pris une nouvelle tournure. La Responsabilité Sociétale des grandes entreprises et du jeu des marchés financiarisés s'est déconnectée structurellement des réalités de la soutenabilité environnemental et sociale. Pour ne pas se réformer l'économie capitaliste a inventé des pansements philanthropiques finalement très stratégiques, car simplifiant le travail du management ; l'hypocrisie organisationnelle. Le cas est différent, des entreprises plus petites (entrepreneurs), suivant le jeu d'une économie réelle ou régionale/locale, à taille humaine et entreprenariale, où les mécanismes sociaux et de conscience des risques fonctionnent encore.

Les questions de redistribution des richesses dans les entreprises, de limitation des primes de dirigeants, la régulation du dogme de la "shareholder value" des années 1990-2000 et enfin la reconnaissance du capital humain et autres intangibles comptables dans la valeur d'une activité sont au coeur de la question sociale et sociétale. Le rapport Business-Société a du sens pour définir le périmètre comptable de la Responsabilité Sociétale. Ainsi, la taxation et l'imposition des activités des entreprises se justifie  pour redistribuer si les entreprises ne le font pas (système libéral) et pour casser les mécaniques de concentration (oligopoles, cartels, monopoles). Mais les pouvoirs politiques ont du mal à l'argumenter, notamment en cas de crise. Pourtant, les activités des entreprises sont structurellement aidées par les Etats en leur donnant une "responsabilité limitée" en cas de faillite, en soutenant les banques privées plutôt que les épargnants en cas de crise, en subventionnant nombre de coûts de gestion ou parfois d'investissements qui devraient être pris en charge par une bonne redistribution de valeur. Plus encore, les impôts et taxes perçus par les Etats sur les entreprises se justifient par le fait de maintenir les salariés en bonne santé et à un niveau d'éducation élevé. Mais, le lien n'est pas fait entre les profits des entreprises notamment les plus grandes et les prélèvements de taxes et d'impôts, qu'elles finissent par contourner en utilisant des failles d'organisation. A ce jeu, les Etats s'appauvrissent et perdent les moyens d'appliquer les Lois. Ces dérives posent la question d'un bilan en "coût complet" des activités productives et des relations économiques entre les entreprises (surtout les grandes) et la Société.
Si une grande entreprise utilise ses compétences pour exploiter les failles du système, elle se place rapidement en défaut vis à vis de la Société. Pourtant, les licenciements comme variable d'ajustement de résultats, la défiscalisation internationalisée, la financiarisation des activités sont des pratiques usuelles dont les coûts sociétaux sont exorbitants. Ce sont les managers professionnels,  mercenaires, qui ont introduit ces pratiques dans l'entreprise, au détriment de l'esprit d'entrepreneur et de l'économie dite "réelle". Les années 1990-2000 ont d'ailleurs été euphoriques sous le signe de la "shareholder value", de la financiarisation (crédit) de l'expansion économique et du développement des actionnariats anonymes et "désencastrés" de la Société.

Si l'on analyse aujourd'hui la lexicologie des concepts du Développement Durable/Soutenable et des responsabilités correspondantes, on peut se poser quelques questions sous la forme du tableau suivant :
• Le développement durable (DD) est devenu un volet relativement technique des efforts de gestion de l'environnement, des ressources, de la santé, des approvisionnements et des conditions sociales. Des relations DD-pauvreté, DD-développement humain, DD-sécurité alimentaire, DD-conflits, etc... sont sérieusement établis. Pourtant la "soutenabilité" est encore une notion floue car elle demande un consensus sur le "non-soutenable" et surtout sur une vision du monde à moyen-long termes, notamment sur le plan écologique (scientifique et idéologique).
• La Soutenabilité même faible (économie verte) est devenue compréhensible par les acteurs économiques et politiques, même si on peut toujours déplorer que les choses n'aillent pas plus vite (par exemple sur la réduction des gaz à effet de serre, la préservation des ressources ou la maîtrise des pollutions, déchets et autres émissions toxiques). La soutenabilité est affaire de technique, la technologie et l'éco-conception nous sauvera. Les choses sont lancées et c'est comme si c'était gagné... Pourtant, les spécialistes montrent les limites de la soutenabilité "faible" et montrent aussi que le sens "écologique" (scientifique) de la soutenabilité "forte" est encore flou. Quelle interaction les humains peuvent envisager avec la Biosphère sans se mettre en danger à court terme ? Ou plus encore, quel sens a la soutenabilité sociale, dès lors que l'on aura réglé le traitements des salariés dans les entreprises et les défauts de la division mondiale du travail ? Il s'agit ni plus ni moins que de laisser les humains trouver des trajectoires pour être heureux dans la prospérité, d'accepter des différences d'organisation politique et économique selon les régions du monde, etc...
• La RSE-CSR, orientée sur les engagements sociaux des entreprises, englobe plus ou moins clairement les enjeux de développement durable, surtout dans sa variante sociétale. La RSE est à la mode peut-être parce que les Etats et les organisations internationales ont l'arrière pensée d'introduire quelques régulations économiques à l'occasion d'un marchandage sur le "soutien public au secteur privé" pour relancer la croissance mondiale. Selon les pays ou blocs économiques (unions douanières notamment) les arrière pensées vont dans le sens de jouer sur la RSE pour adopter de nouvelles protections ou renégocier les conditions du libre-échange défaillant. Dans d'autres cas, il s'agit de donner un nouveau souffle à l'aide au développement envers des pays pauvres détenteurs de matières premières ou pas. Et enfin, marginalement, il s'agit de stimuler les PME-PMI à devenir plus efficaces sur l'emploi de long terme et sur les coûts cachés qu'elles génèrent sur le plan local (notamment la dégradation des ressources).
• Une RSE (Responsabilité Sociale et Environnemental) apparaît parfois et télescope la Responsabilité Sociétale qui vient d'être normée (Iso 26000). En français cela donne quelques confusions sur le public auquel s'adresse le message, entreprises ou un ensemble de parties-prenantes, rejoignant les agendas 21 et autres initiatives de gouvernance du Développement Durable.
• La Responsabilité Sociétale (voir Iso 26000) semble s'imposer comme une autre dimension de changement que le Développement Durable/Soutenable, réputé plus technique. Il y a beaucoup à dire, mais je voudrais souligner que la Responsabilité Sociétale appelle des notions anciennes qui n'ont pas été utilisées dans la rédaction de la norme Iso. Le coût social dont on disait qu'il est un mythe car impossible à chiffrer. L'assurabilité des activités humaines, pas seulement celles des entreprises. L'utilité sociale ou sociétale définie par un calcul formel un coût global ou complet, ou informel par des bilans multicritères, etc...
Le sociétal appelle la notion de Société, c'est à dire la collectivité au travers de ses Etats et autres organisations, mais aussi au travers des enjeux sur la Biosphère, son fonctionnement et ses biens communs inaliénables, posant la question des limites de la propriété privée et du jeu des marchés libres réputés aujourd'hui défaillants. Le sociétal appelle la civilisation ou les civilisations, redéfinies de manière contemporaine et malgré le lissage que l'économie dominante est en train d'opérer.

La RSE, quelles qu'en soient ses formes et dans la perspectives des promesses de la Responsabilité Sociétale définie par Iso 26000, place la notion de "responsabilité" comme principe central du processus de changement attendu. Mais la responsabilité est une notion qui appelle une vision ex-ante de l'action et alimente le "marché de dupe", faisant croire que l'on pourra prendre ses responsabilités en cas de dommages, calculer des risques et s'assurer pour continuer l'économie actuelle. Or l'économie et la vie en Société (sociétale) sont incertaines et incontrôlables, donc un engagement de responsabilité ne résout rien en cas d'accident grave, imprévisible. car mettant en échec les calculs rationalisés des risques. Si on l'applique à l'industrie, nucléaire ou chimique pour jouer un peu, la Société n'a pas plus les moyens que l'industrie d'assurer les dommages en cas d'accident comme Tchernobyl (1986), Fukushima (2011) ou Bhopal (1984). A l'échelle de l'histoire de 'industrie, ces accidents sont nouveaux et par définition imprévisibles par des calculs probabilistes, sauf illusion de contrôle. Pas plus l'industrie, que les autorités ou la Société toute entière ne pourront assumer la responsabilité si elle est prise. La prise de responsabilité cache des naïvetés, des illusions et des mensonges dont les mécanismes sont bien connus aujourd'hui. C'est une question de Civilisation de croire que la maîtrise technique (convaincante) protège contre la cupidité (investissements insuffisants, abandon d'un site non-rentable financièrement) et contre l'erreur humaine d'un salarié mal payé ou mal formé. La responsabilité peut faire croire que l'on peut prendre sa responsabilité seul, les entreprises d'un côté, les consommateurs de l'autre, les Autorités enfin. Mais ces approches sont en échec, d'une part parce que les entreprises externalisent leurs risques et leurs coûts (principe "CCPP"), d'autre part que les individus consommateurs sont ambivalents et inconstants, et enfin que les Etats n'ont pas les moyens d'assurer le système si chacun limite sa responsabilité à une part "pratiquable" dans une économie incertaine et incontrôlable (à développer !).
La responsabilité est synonyme de bilan ex-ante ce qui signifie, qu'en cas de bilan, notamment pour établir la prise de responsabilité pour réparer des dommages, on est dans une logique d'évaluation après événement ou après projet sans recours possible à des dispositifs avant-projet ou avant-événement ; par définition si un accident a lieu et qu'il est grave, les raisonnements antérieurs ne servent plus à rien pour relever des nuances dans les performances et progresser. La conclusion (cynique, disons le) des engagements de responsabilité dans l'incertitude c'est qu'il faudrait être dupe ou joueur pour s'engager et dans les deux cas, organiser son insolvabilité matérielle et morale en cas d'accident ; l'Etat, les individus et la Nature se chargerait de résoudre le fait que "l'on ne pouvait rien prévoir" ; responsable mais pas coupable. Pourtant, aujourd'hui, les managers "professionnels-mercenaires" connaissent ces situations et savent externaliser leurs risques pour préserver les entreprises (principe CCPP), profitant de l'ignorance des citoyens et des pouvoirs publics.

La "Soutenabilité des Activités", à l'origine du Développement Durable/Soutenable" de 1992, ouvre un champ intéressant de la gestion du changement, car elle oblige de fixer des objectifs et des trajectoires alternatives, ne réduisant pas le changement à une question de gestion des risques. La Soutenabilité environnentale et sociale permet des évaluation ex-post de l'action par étapes et d'apprendre peu à peu dans un schéma d'interactions évolutif, "panarchique" (Holling et al.). (à développer).
Les trajectoires de changement vers une économie soutenable et responsable peuvent prendre des forme éco-techniques ou des formes suivant des critères d'équité, selon que la soutenabilité ou la responsabilité soient mobilisés, mais ces notions méritent d'être traduites en termes opérationnels et stratégiques pour devenir concrets pour tous les acteurs du processus de changement. Sans cette traduction, les intentions seront vaines. 



En adoptant les deux axes de Soutenabilité et de la Responsabilité Sociétale pour gérer le changement de l'économie non-soutenable et non-responsable, on se met en situation de pouvoir réagir à tout retour d'expérience et apprendre, en dynamique, malgré les incertitudes et le manque de contrôle.
Les acteurs d'une économie réelle, capables de s'engager dans un jeu gagnant-gagnant de partenariat, coopératif plutôt que d'affrontement, feront le changement de trajectoire car ils n'ont pas le choix de sortir du jeu actuel qui n'est ni soutenable, ni responsable. Esquissons un nouveau jeu qui sera animé par des entreprises à taille humaine en réseaux (PME-PMI), redistribuant la valeur ajoutée selon un principe de partage (Shared value), traitant le client en partenaire dans une économie conçue à l'échelle régionale et locale. Le client sera placé au centre des activités où la part des services à la performance augmentera sur la production physique. Les bénéfices de ce système de services "vrais" seront partagés entre les entreprises et le client par des contrats transparents et cohérents avec les politiques publiques qui pourront récompenser les initiatives vertueuses. Les entrepreneurs en réseaux et leurs employés (slériés ou indépendants) peuvent instaurer un esprit et des relations de confiance réduisant les coûts de transaction et réagissant aux évolutions des marchés, etc... (à développer dans un autre billet). La sanction à une défaillance ou des manquements sera sociale et économique au lieu d'être juridique. Le juridique ne sera employé qu'en dernier lieu quand aucun accord de réparation amiable n'est possible... etc...
Les systèmes qui favorisent les grandes entreprises et les cartels aboutiront au démantèlement de ces derniers car les Etats en assumeront l'enjeu stratégique par une politique économique de régulation laissant au marché ce que le marché privé est capable de faire, mais nationalisant ou mutualisant en régie les activités sur lesquelles les marchés sont défaillants. L'évaluation de la "performance globale" des produits, processus et services guidera l'innovation et les expérimentation selon des modèles apprenants orientés par soutenabilité environnementale et sociale d'une part, et des capacités de la Société (l'ensemble des parties prenantes d'une activité) d'assurer les dommages des activités et de déterminer une utilité sociale des marchés, etc...
La philosophie (épistémologie de l'action) du Développement Durable/Soutenable est à revoir si l'on veut que le changement trouve son moteur naturel, par contagions, par auto-organisation, par synergie entre initiatives locales et globales, sans chef, sans pouvoir central sauf les alliances stratégiques et aussi émotionnelles entre une multitude d'acteurs.

En conclusion, la RSE (notamment connotée entreprises) n'est pas à même de relever le défi du changement de performance environnementale et sociale car elle pose la "responsabilité" comme seul axe du pilotage du processus de changement. A chaque initiative d'entreprises doit correspondre une politique publique cohérente, un partenariat apprenant, qui idéalement doit concerne l'ensemble des parties prenantes liées à l'activité de l'entreprise en question. Le concept laisse supposer que les parties prenantes (voire les seules entreprises) peuvent définir leurs responsabilités séparément et en déterminer la solvabilité en cas d'accident. Dans le rapport Business-Société, les entreprises, surtout grandes, sauront définir un nouveau "contrat de responsabilité limitée", imposer une hypocrisie organisationnelle adaptée et alimenteront le jeu de dupe décrit plus haut. Les autorités et leurs politiques publiques devront clarifier leurs intentions et leurs leviers pour arriver à instaurer un autre jeu, gagnant-gagnant ou de partenariat avec les entreprises et l'ensemble des parties prenantes concernées par leurs activités. Les choses ne vont pas de soi...

La RSE et la Responsabilité Sociétale ne sont pas des notions suffisantes pour guider le management d'entreprises, ni même les politiques publiques, encore moins les marchés et les réformes institutionnelles qu'elles appellent, ni la gouvernance mondiale ou la politique de Civilisation... Car la responsabilité doit clarifier le système d'assurance des dommages en cas de défaillance du système d'une part, et les règles pour établir l'utilité sociale/sociétale des activités afin d'éliminer les acteurs dont l'activité génère des coûts sociaux trop élevés, notamment sur le long terme (leurs calculs méritent d'être d'ailleurs travaillés,, comme celui des externalités, malgré les scepticismes de la plupart des économistes). Ces objectifs ne sont pas résolus dans la norme Iso26000 et jamais évoqués dans la démarche RSE (ou CSR).
Tout processus de changement suit des logiques de comportement humain dont il faudra tenir compte pour inspirer les normes du Management (Stratégique) des Transitions pour la Soutenabilité et la Responsabilité (MSTSR) à venir...

à suivre...

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